Écrire est une activité très solitaire. Je n’invente rien en disant cela, et quoi qu’en en dise, ça sera toujours plus ou moins vrai. C’est comme ça que j’introduis l’atelier du Chantier, en rappelant qu’on est toujours seul·e pour écrire et surtout que personne ne pourra le faire à notre place. Ça peut sembler une évidence. Certain·e·s ont un besoin viscéral d’être seul·e pour écrire. Moi-même, j’ai souvent du mal à m’y mettre quand quelqu’un de ma famille se trouve dans la même pièce, voire même simplement dans une pièce à côté. J’ai besoin d’être parfaitement isolée pour être concentrée. Avant de participer pour la première fois à un atelier d’écriture, je pensais que je ne pourrais pas écrire dans ce contexte. J’ai découvert qu’écrire en groupe, dans le cadre d’un atelier, n’était pas du tout un frein au fait d’écrire, contrairement à ce que je pouvais penser. Car très vite, lorsqu’un temps d’écriture est lancé, chaque participant·e se plonge dans la rédaction de son texte, se met dans sa bulle, et d’une certaine manière, trouve sa propre manière de s’isoler. Ce que je n’aime pas, quand je me retrouve à écrire en présence d’autres personnes, c’est lorsque celles-ci ne sont pas elles aussi attelées à une tâche demandant silence et concentration.
Dans le cadre d’un projet d’écriture plus long, hors ateliers, la solitude peut être aussi nécessaire que pesante. Chaque fois que j’ai entrepris l’écriture d’un manuscrit, j’ai trouvé la solitude extrêmement pénible. Car si j’ai besoin d’être dans ma bulle quand j’écris, j’ai aussi remarqué que je n’arrivais pas avancer dans un projet si je restais constamment seule durant le processus d’écriture. Et c’est là la grande différence que je fais entre la solitude du moment de l’écriture, et la solitude de l’écriture dans sa globalité. Parce qu’écrire un livre ne se résume pas à s’asseoir sur une chaise et à taper des mots sur un clavier. C’est un lent processus de réflexion, de maturation, un va-et-vient permanent de l’esprit pour trier ses idées, penser le fond, la forme, la structure, le style…Cela va bien au-delà de l’écriture
elle-même. Et quand je me retrouve bloquée, quelle qu’en soit la raison, l’une des meilleures façons que j’ai trouvé pour dépasser ce blocage, c’est d’en parler.
J’ai donc besoin, pour écrire, de pouvoir parler à quelqu’un d’autre de ce que je suis en train de faire, à différents stades de mon projet. D’une part, parce que parler à voix haute me permet de mettre en mots mes questionnements et mes difficultés de manière plus palpable et plus concrète que si ces pensées étaient enfermées dans ma tête. Mon manuscrit se met à exister, réellement, je ne suis plus cette folle qui se parle à elle-même devant son écran. Parfois, le simple fait de parler à voix haute dénoue certains blocages. Dans tous les cas, ça me fait du bien, ça me permet d’avancer, ça me redonne confiance – pour peu que m’adresse à quelqu’un qui accueille (sans forcément y répondre) ma parole.
Quand j’ai réalisé ça, je me suis rendue compte du pouvoir que pouvaient avoir les autres sur notre écriture et la richesse qu’un regard ou une oreille compréhensive pouvait nous apporter. Je me suis rendue compte que l’écriture n’avait peut-être pas à être cette activité solitaire, nourrie par le mythe de l’écrivain enfermé dans son bureau, seul et incompris de tous. Je me suis “ah mais en fait, si on discutait entre gens qui écrivent, on pourrait grave s’aider et avancer toustes ensemble, en même temps!”. Si on pouvait se guider, s’écouter et se nourrir les un·es les autres ? J’ai pensé à toutes ces valeurs qui sont pour moi cruciales pour un atelier d’écriture, et je me suis dit qu’on pouvait peut-être essayer de les appliquer à un format différent, adapté aux projets longs.
Alors voilà, le Chantier, c’est ça : un atelier d’accompagnement à l’écriture, collectif, fondé sur l’échange, l’entraide et le partage. Un lieu où chaque participant·e a la possibilité de se lancer dans un projet, de parler de son texte en cours, d’exprimer ses questionnements et ses doutes, de lire des morceaux en cours d’écriture et de demander des avis en retour. Je voulais créer un espace sain où l’on pourrait tout se dire, sans mentir, et ne plus se sentir seul·e dans son écriture. Où l’on pourrait entrevoir la possibilité de terminer un projet qui nous tient à cœur sans que cela semble un sommet inatteignable.
Le Chantier demande donc un certain investissement, car l’idée est que chacun·e participe de manière active aux ateliers, écoute et aide les autres en retour. Nous ne sommes pas, ni moi ni les participant·e·s, éditeur·ice·s ou critiques littéraires. Il ne s’agit pas de critiquer ou d’évaluer les textes en cours, mais de se retrouver entre écrivant·e·s, de se soutenir et de se conseiller, avec honnêteté et bienveillance. Mon travail, c’est de maintenir ce cadre-là, de guider les discussions et d’assurer la bonne conduite des projets.
Le reste, c’est le groupe qui s’en charge ! Cette dimension collective est capitale pour moi, et je crois qu’elle a bien des vertus, en plus du soutien dont je viens de parler. Le collectif nous rappelle que nous ne sommes pas seul·e·s à nous poser des questions, à rencontrer des problèmes, à nous sentir incapables. Nous sommes, au contraire, dans la même barque. Le groupe nous confronte également aux regards extérieurs, un regard qui nourrit et permet d’avancer, de progresser dans son écriture, en touchant des sensibilités différentes, en recueillant des conseils ou des idées que l’on n’aurait jamais eu autrement. Parfois, au cours du Chantier, les avis se rejoignent, se complètent ou s’opposent, ce qui pour moi correspond à une certaine réalité du rapport écriture-lecture : on réalise que non, on ne pourra pas forcément plaire à tout le monde, ni répondre aux attentes de chaque lecteur.ice. Et que ce n’est pas grave.
Ce qui ressort le plus souvent du Chantier, c’est l’énergie et la stimulation des ateliers, qui permettent de s’accrocher, au fil des mois, à un seul et même projet. De tenir bon, de ne pas laisser tomber au moindre blocage ou parce que l’on est resté quelques semaines sans rien écrire. On continue, vaille que vaille, parce que le groupe est toujours là. Le Chantier c’est une expérience particulière d’écriture. C’est une véritable richesse, et pour moi, un plaisir énorme que d’accompagner des projets au long cours, de voir les textes qui avancent et la confiance qui grandit. Je ne crois plus à l’écriture comme une pratique nécessairement solitaire. J’ai plutôt envie qu’on la voit comme une aventure qui peut être aussi une joie, une route pavée de nos échanges et de nos partages. Du moins, on peut peut-être essayer.
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