Parfois, quand je parle de mon métier d’animatrice, je dois expliquer ce qu’est un atelier d’écriture, ce qu’on y fait, ce qu’on y trouve, et pourquoi est-ce que je fais ça. Ce n’est pas si évident, d’autant qu’il y a autant d’ateliers d’écriture que d’animateur·rice·s, autant de visions que de façons de faire un atelier. Parfois on me dit : “alors, tes cours d’écriture, ça se passe bien?”, ou encore : “ce que tu fais, c’est pour apprendre aux gens à écrire?”, et je dois dissimuler mon air plus ou moins gêné – selon le contexte, lorsque je réponds que non, je n’apprends pas aux gens à écrire. Que c’est un peu plus compliqué (ou plus simple?) que cela. Que je ne leur apprends peut-être rien du tout, et que ce verbe même d’apprendre m’embête énormément.
Pourtant, j’entends régulièrement des participant·e·s ou futur·e·s participant·e·s m’écrire pour me dire : “moi, je ne sais pas écrire” (avec ses différentes déclinaisons : je ne sais pas écrire de la poésie, je ne sais pas écrire une nouvelle, je ne sais pas écrire long, écrire court, écrire en 1h ou en 15mn, etc). Comme si écrire (ou bien écrire) devait nécessairement s’apprendre, être un savoir que l’on acquiert comme un théorème mathématique. Quand on dit “je ne sais pas écrire”, on renforce ce préjugé tenace qu’il y aurait des gens “qui savent” écrire et d’autres non. Que l’écriture serait réservée à cette première catégorie, celles et ceux qui détiennent cette connaissance spécifique, les auteur·ice·s (publiés·e·s), les artistes, “les littéraires”. Quand je parle d’ateliers d’écriture à des personnes qui n’en ont jamais fait et qui n’ont pas d’idée précise de ce que ça représente, ce que ça évoque souvent, ce sont les cours de français du collège ou du lycée. Il est vrai que la notion d’atelier renvoie souvent à quelque chose de scolaire, et peut-être encore plus l’atelier d’écriture, car l’écriture rappelle l’exercice de rédaction, les devoirs et autres dictées. On se remémore le cadre de l’école, où l’on répond constamment à des “consignes”, à des instructions qu’il nous faut respecter pour réussir l’exercice demandé, où il y a nécessité d’apprendre, dans un cadre d’évaluation et de réussite.
Or, rien de tel dans les ateliers d’écriture. Un atelier n’a souvent rien à voir avec un exercice scolaire. C’est un espace où, au contraire, l’écriture devient un un jeu, un outil thérapeutique ou un véhicule de création, selon le type d’atelier proposé. Je dis souvent, en atelier, que nous sommes là pour explorer. Pour tester, pour expérimenter – bien plus que pour apprendre. Les consignes proposées ne sont pas des injonctions à l’écriture, mais des suggestions. Elles impulsent l’écriture, créent un cadre qui n’a rien de strict, mais qui vient accueillir les mots qui vont et viennent. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, pas plus qu’il n’y a de hors sujet comme pour un devoir ou une dissertation. Le but de l’atelier n’est pas de respecter la consigne donnée, ce n’est pas non plus de repartir avec un diplôme ou une certification qui estampillerait notre réussite, non : le but de l’atelier c’est tout simplement d’écrire, de puiser au fond de soi ce qu’on a dire à l’instant T, c’est de créer, c’est repousser nos limites, découvrir d’autres horizons et prendre du plaisir dans l’écriture.
Ainsi donc, en tant qu’animatrice, je ne suis pas là pour apprendre aux participant·e·s à écrire, et c’est là quelque chose de fondamental dans ma vision et ma pratique des ateliers. Déjà, parce que cela supposerait qu’il existe peut-être une “bonne” façon d’écrire, plutôt qu’une autre, et je n’y crois pas. Même dans le cadre du Chantier, je n’apprends pas aux participant·e·s à écrire un livre, car il n’existe à mes yeux aucune recette miracle. Si l’on apprend quelque chose au cours du Chantier, c’est avant sur soi-même : comment l’on fonctionne, qu’est-ce qui est bon ou pas pour nous, de quoi est-ce qu’on a besoin pour écrire, etc. Cet atelier est avant tout un tremplin pour des personnes qui souhaitent écrire un projet long à se lancer, à croire en ce projet et en leur écriture. Ce qui n’est déjà pas une mince affaire. Mais je n’apprends à personne à écrire, car je crois que tout le monde sait déjà le faire.
Si vous savez tenir un crayon, tracer des lignes sur une page, alors vous écrivez déjà. L’écriture part de là, de ce geste primitif. Elle n’a, à ce moment-là, rien à voir avec le fait de “bien” écrire ni avec la littérature. Elle n’est pas un savoir en tant que tel, ni encore moins la chasse gardée d’une infime partie de la population. Et ça n’a rien à voir non plus avec le fait d’être un·e artiste. C’est une chose parfaitement naturelle que d’écrire. Griffonner dans un cahier quand on téléphone à quelqu’un, tenir un journal intime, envoyer des mails, prendre des notes dans son téléphone, c’est déjà écrire. Une autre phrase que j’entends beaucoup : “je n’ai pas de style, je ne sais pas écrire joli, je suis pas un·e littéraire”. On retombe sur le préjugé de l’écriture comme un art (et comme un art élitiste), de l’atelier comme exercice scolaire, et du du cloisonnement hérité de l’école où il y aurait les littéraires d’un côté, les matheux·se·s et les scientifiques de l’autre. Mais l’écriture n’appartient à aucune de ces cases toutes faites. Je pense aussi que l’écriture n’est pas une question de talent, de connaissances ou de style, mais de désir. C’est aussi simple que ça. Si vous avez envie d’écrire, alors vous êtes parfaitement légitime à le faire, et parfaitement légitime à participer à un atelier. Les apprentissages ne seront peut-être pas ceux auxquels vous pensiez. Vous n’apprendrez peut-être pas à bien écrire comme on apprendrait les règles de la grammaire et de l’orthographe, mais vous pourrez sentir, d’atelier en atelier, votre écriture évoluer, progresser. Et cette notion de progression, je la valorise bien plus fort que celle d’apprentissage.
Mon travail d’animatrice consiste dès lors à impulser le geste d’écrire, à accueillir une parole puis à baliser les progrès de chacun·e. À accompagner les envies d’explorations, les besoins d’évasion, les désirs d’écriture. L’atelier, lui, propose des routes, des directions, des perspectives. Ce n’est pas une ligne droite où l’on valide des compétences les unes après les autres. D’atelier en atelier, on avance sur son propre chemin d’écriture, avec parfois des doutes, des bifurcations, des sorties de route. Parfois, vous ne serez pas satisfaite de ce que vous aurez écrit. Et c’est normal. Parfois, vous aurez l’impression d’être nul·le, de mal écrire. Et c’est normal aussi. Mais ne dites pas que vous ne savez pas écrire, car ce n’est pas vrai, parce que vous possédez en vous des trésors qui méritent d’être traduits en mots – avec une voix singulière, la vôtre.
Je n’ai pas toujours la réponse à la question de savoir comment se passent “mes cours d’écriture”. Je n’ai pas toujours les mots pour décrire les apprentissages que l’on fait et ceux que l’on ne fait pas. Ce qui est sûr, c’est que j’aime voir l’atelier comme une pratique d’exploration, de découverte perpétuelle, qu’on soit un·e autrice confirmé·e ou grand·e débutant·e. D’ailleurs, j’ai l’impression que chaque nouvel atelier est toujours un début, un commencement, et que quelles que soient nos pratiques et nos habitudes, nous reprenons à zéro pour décider de remplir, ensemble, une nouvelle page blanche.
Je ne sais pas ce que l’on apprend en atelier d’écriture, comme je ne sais pas quels textes vont être écrits ni quelles émotions cela va susciter, et c’est cela qui est beau aussi : le lâcher-prise, la surprise et la joie qui vous cueille à chaque instant.
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